Une leçon du Nicaragua : Arrêtons de pleurnicher
mardi 1er décembre 2009 par CEPRID
Jorge Capelán
Traduction : NicaraguaSocialista
Chers-es camarades, de si loin et de si prés. J’avais promis d’écrire à bon nombre d’entre vous si tôt que j’arriverai à Managua, une promesse un petit peu optimiste, parce que pour pouvoir le faire, il fallait déjà que j’atterrisse. Et quel atterrissage ! Depuis le premier jour, on m’a mis une caméra à l’épaule, filme, m’a-t-on dit ; fais un documentaire sur le miracle de la reproduction de l’eau. Au cas où vous ne le sauriez pas, le gouvernement sandiniste est en train d’approvisionner le peuple en liquide de vie. On pense pour cette fin d’année arriver au nombre de soixante-dix puits d’eau dans tout le pays. Soixante dix puits en moins de trois ans, une moyenne de 20 par an, un nombre étonnant si on le compare avec quarante et quelque chose durant lespériodes de Bolaños et Alemán, qui gouvernèrent le pays entre 1996 et 2006.
Dans l’Entreprise Nationale des Eaux -ENACAL-, on travaille au moins huit heures complètes du lundi au vendredi et la mi-journée du samedi. Souvent on y travaille plus d’heures, parce que l’eau c’est la vie du Nicaragua. C’est pour cela que le gouvernement avait désigné Ruth Herrera à la tête de la même entreprise, qui avait lutté depuis la rue pour que la droite libérale ne la privatise pas. C’est pour cela, si je n’ai pas répondu à tout le monde et à chacun de vous, vous saurez qu’en grande partie c’est de sa faute à elle. Un autre qui a aussi quelque chose à voir est mon bon ami William Grigsby qui m’avait chargé d’un long article sur le réchauffement global. Le reste du temps je l’ai employé à tenter de continuer à atterrir pour ne pas dire quatre sottises, contrairement à ce que fait la majorité des medias de la désinformation quand ils traitent le thème de la Terre du Général des Hommes Libres.
La première impression qu’on a quand on arrive au Nicaragua d’aujourd’hui, après avoir souffert les jours de la Nouvelle ( ??) Ère de Don Enrique Bolaños, est un petit peu bizarre. A première vue, c’est le même pays pauvre et chaotique, résultat de la terrible guerre des années 80 et du barbare bain d’acier néolibéral qui succéda. Managua est la même de toujours, avec sa circulation folle, sa poussière qui inonde tout, son bruit, son manque de centre villeŠ non. Managua n’est pas la même. Elle l’est et elle ne l’est pas. Une série de détails, au début imperceptibles, nous amènent à la conviction que, au pas lent mais sûr, « le mouvement s’agite » de nouveau au Nicaragua, et comment !
QUELQUES TRAITS :
L’avion se prépare à atterrir sur la capitale nocturne. Il y a cinq ans, la nuit obscure était éclairée par des lumières jaunâtres comme des lueurs de l’enfer. Aujourd’hui, ces flammes tristes du passé sont en train d’être mises de côté par des étincelles bleues qui prennent le pouvoir dans les quartiers populaires. Ce sont les économiques lampes bénies de l’ALBA. Fortement subventionnées à 25 córdobas (un peu plus d’un dollar), elles sont à la portée de la population pour lui alléger considérablement les malheurs de la facture d’électricité.
Le taxi traverse Managua d’Est en Ouest. Comme toujours, il s’arrête à un feu rouge ou à plusieurs. Mais où sont passés les enfants d’il y a trois, quatre ou cinq ans avant, qui se lançaient sur les voitures pour laver les pare-brises, vendre de l’eau fraîche ou n’importe quelle autre babiole, ou simplement pour demander « un peso, señor » ? La majorité, pas tous bien sûr, a été sûrement dévorée par l’ALBA. Ou peut être enlevée par le nouveau système de santé et l’école dé-privatisée, ils ont été sûrement emportés par Hambre Cero (la Faim Zéro - Programme social -ndt), ou un autre projet qui a donné à leur mère une manière de gagner sa vie. Peut être qu’ils ont été enlevés par le coût du transport urbain gelé à 2,50 córdobas. Qui sait qui les a emportés, mais le fait est qu’il en reste beaucoup moins. Dans tous les cas, aucun de ces enfants n’a gagné la green cards yankee qu’annoncent les médias de la droite.
Ce gouvernement de minorité est celui qui a traversé l’une des crises des plus aiguës du Nicaragua moderne. A la chute des tours jumelles de Lehman Brothers, ont aussi chuté les envois d’argent des émigrés de l’extérieur et les exportations aux Etats-Unis. Comble des maux, une partie des pays donateurs décida d’apporter son grain de sable à la démocratie nicaragueyenne en gelant l’aide internationale. Une chance que le Venezuela mange avec plaisir la viande et les haricots nicas, mais même ainsi les pertes pour le pays ont été considérables. Malgré tout cela, il n’y a eu aucun travailleur de l’Etat qui ait été licencié, la construction des routes n’a pas été suspendue et les programmes sociaux n’ont pas été coupés. Le chômage (chiffres officielles) tourne autour de 5,5 pour cent, et l’OIT pronostiquait en mai de l’année en cours que le Nicaragua serait le pays de la région avec moins de croissance du chômage à cause de la crise : Un pour cent comparé à une moyenne de 4,5 pour cent pour le reste.
Au lieu de licencier des travailleurs du secteur d’Etat ou adopter des mesures similaires, on a obtenu un prêt de l’ALBA pour geler les tarifs de l’énergie électrique. Des subventions en plus : Un mètre cube d’eau coûte en réalité une moyenne de quinze córdobas. Les gens payent entre 2 et quelque sept córdobas, selon leur capacité. Des centaines de milliers du million de nicaraguayens qui n’avaient pas d’eau sont en train de l’avoir. Et beaucoup ne veulent pas payer. La dernière des décisions est de couper le service aux plus pauvres, au lieu de cela on essaye de faire prendre conscience, parce qu’il s’agit de fonds nécessaires pour garantir de l’eau et des réseaux d’assainissement aux populations qui ne les ont pas encore. Les syndicats demandent des augmentations (une de plus) de salaire minimum : Cette fois c’est 30 pour cent. Le gouvernement ne se moque pas d’eux.
Malgré l’importance de l’aide bolivarienne, des médecins cubains, des investissements russes, iraniens et d’autres pays, cela ne suffit pas. Une partie significative de cette aide est sous forme de projets à moyen et long terme, qui permettront d’asseoir les bases de l’indépendance du pays, mais le gouvernement a besoin d’argent liquide tout de suite pour payer les feuilles de paye des employés et maintenir la gestion quotidienne de l’économie. Quant l’idée est de sortir du néolibéralisme, arrêter de voler mène trop loin. Les sandinistes, qui se sont fait baisser les salaires, qui ont licencié des ministres pour le moindre soupçon de corruption, ont augmenté les fonds publics disponibles avec cette simple mesure. Mais il est clair, cela ne suffit pas, le Nicaragua ne peut se donner le luxe, pour le moment, de sortir du Fond.
La semaine dernière, l’information arriva : Le FMI a approuvé le plan économique du gouvernement et déboursera plusieurs dizaines de millions de dollars si nécessaire pour le pays. Ce que la droite pronostiquait, était que le chef d’orchestre du capitalisme global refuserait le prêt aux sandinistes, ce qui ne s’est pas produit. Et cela bien qu’il ne fût pas prévu dans la proposition du gouvernement ni de fermer une école, ni de licencier un travailleur du secteur public, ni de privatiser un seul bien public. Tout au contraire, le plan comportait des impôts taxatives qui obligerait les cinq pour cent les plus riches du pays à payer des impôts selon leurs recettes, et pas un sou pour le reste de la population.
Comment est-il possible que le FMI finance une telle politique économique ? A ceux qui disent que l’on ne peut rien faire, que le mieux est de se rendre face aux règles du jeu, à ceux qui jettent aux orties le tableau de bord et pénètrent quelque part dans la jungle pour écrire depuis là-bas de profondes lamentations sur le mal que fait le reste de la gauche, à ceux qui vont se coucher pour rêver dans l’attente de se réveiller à la Havane, à ceux qui disent que tout est de la faute des grands médias, les sandinistes semblent dire : « Arrête de pleurnicher et pousse de l’avant, camarade ! »
Si on sait ce qu’on veut, d’où on doit partir, quelles sont les priorités et que sont les faiblesses de l’adversaire, si on part de la réalité concrète sans perdre de vue le but, alors il s’agit de mettre les mains à l’ouvrage et faire la révolution d’en haut, d’en bas, sur les côtés, de l’avant, de derrière, de tous les côtés, par tous les moyens qui sont à votre portée.
Si le fait est de bouger dans les cadres étroits du système, les sandinistes ont des économistes maison, qui ne sont pas des blondinets aux diplômes des universités yankee, mais qui à force d’application dans les études, ont appris toutes les règles et se la jouent à la perfection pour essayer de na pas perdre. S’il s’agit de ruser avec ces mêmes cadres étriqués, ou de louvoyer avec des parlements à majorités corrompues, les entreprises multinationales (grand-nationales) de l’ALBA sont là, là aussi se trouve la politique internationale souveraine capable d’avoir des relations avec des pays aussi divers que la République Populaire de Chine et Taiwan. Alors que, le président Daniel Ortega se donne le plaisir de mener la joute à Uribehitler, à Micheletti ou à tant de petits gorilles circulant librement quelque part.
Le but c’est un socialisme avec un fort composant d’autogestion ; la situation est celle d’un peuple dans le fond révolutionnaire et anti-impérialiste qui a été soumis à la faim, à l’intoxication idéologique, au terrorisme sous toutes ses formes et à la perte de ses racines et de son histoire ; les priorités sont de satisfaire l’aspiration du peuple aux droits sociaux, économiques et de toute sorte, protéger les ressources du pays, se développer su la base de la production d’aliments (« nous convertir en grenier de l’ALBA ! » disent-ils) et se protéger face aux effets de la crise capitaliste globale ; l’empire et l’oligarchie locale sont dans un état de crise terminale, ils sont en train de se dévorer entre eux et souffrent du manque d’alternative politique à offrir. Personne ne croit en eux. Déja quant j’étais au Nicaragua il y a cinq ans, cela était évident à l’époque. Ils ne font plus peur à personne, il suffit juste d’écouter les informations qui viennent chaque semaine d’Afghanistan.
Il ne leur reste qu’à cracher des fleuves d’encre, produire des milliers d’heures de radio et de télévision pour tromper et décourager, tout simplement. Surtout la presse écrite, comme au Venezuela et en d’autres lieux, elle est devenue un parti politique qui tente d’unifier la réaction autour des intérêts de l’ambassadeur des gringos (à propos, ex. main droite de John Dimitri Négroponte dans les années 80). S’il vous plait, camarades : ne croyez absolument rien de ce qu’écrivent La Prensa et El Nuevo Diario. Si vous entendez quelque chose d’horrible sur le Nicaragua, demandez à celui qui l’a dit d’où il a tiré cette information. Sûrement qu’elle vient de cette source.
Mais les arguments du gouvernement sont plus que persuasifs : ils pèsent sur le c¦ur de beaucoup de gens. Et sur l’esprit d’autant d’autres. Ne nous laissons pas tromper. L’interdiction de l’avortement thérapeutique fût une barbarie. Néanmoins, je crois qu’il n’y a jamais eu de distribution aussi massive de préservatifs durant les 20 dernières années qu’aujourd’hui. On parle beaucoup et de plus en plus de sexualité. C’est un phénomène très complexe. Pour la majorité des femmes du peuple, la question de l’avortement n’est pas leur priorité. Par contre, avoir le contrôle sur l’économie familiale, avoir l’opportunité de voir un médecin, peut-être pour la première fois dans leur vie, apprendre à lire et écrire, sont des questions prioritaires que ce gouvernement est en train de leur garantir. Dernièrement il y a eu une remontée de la violence contre les femmes dans le pays, bien que la police ait ouvert des bureaux dans tout le pays pour que ce type de délit soit dénoncé. J’avance l’hypothèse qu’il s’agit de la réaction d’un patriarcat de plus en plus menacé sur beaucoup de terrains, spécialement le terrain économique.
Bien sûr, on parle beaucoup de Dieu. Et quel est le problème ? Si le sens que l’on veut donner au discours est celui de « servir le peuple c’est servir Dieu » ou « aime ton prochain autant que toi même, comme l’exige Dieu et le pratique le FSLN », quel problème y a-t-il avec ça ? Il est vrai que quelques fois on exagère. Il est vrai qu’il y a des camarades qui tombent dans l’opportunisme rhétorique, mais ceci n’est pas la règle dominante du discours officiel. Celui qui exige de l’athéisme aux sandinistes ne sait pas ce qu’est le Nicaragua. Il ne comprendra pas la différence entre la grande réussite qu’est le fait d’avoir le Cardinal Obando y Bravo si doux sur la tribune d’honneur des remises de titres de propriété aux paysans et le fait de l’avoir comme leader spirituel de l’ennemi dans une guerre idéologique ou de basse intensité ! ou, mieux encore, à la tête d’un parti rural de droite au service du grand capital financier.
C’est dans ces conditions que se livre aujourd’hui la bataille au Nicaragua. Le débat des idées, l’information et la culture sont fondamentales. Les masses sandinistes, avec le reste du peuple qui devient de plus en plus sandiniste (et/ou moins anti-sandiniste, cela dépend) sont en train d’étancher leurs blessures de la guerre des années 80 et de l’enfer qui s’en est suivi.
Le petit-fils de Sandino rassemble autant de papiers écrit par son grand père pour écrire l’histoire de la lutte sandiniste selon les lignes tracées par le Général des Hommes Libres. Le produit, dont la publication en milliers d’exemplaires sera financé par le Venezuela Bolivarien, sera la meilleure biographie du héros jamais écrite. Le Forum des Journalistes Sandinistes contre la Dictature Médiatique réunit de plus en plus de gens. L’assistance aux stages pour cadres du Front Sandiniste est plus nombreuse de semaine en semaine. Ces stages sont à la charge de Carlos Fonseca Terán, le fils du fondateur du Front Sandiniste et l’un des plus fidèles représentants des idées révolutionnaires du dirigeant. Non, ce que l’on voit n’est pas un rebut de certains sandinistes rénovateurs ! c’est une continuité croissante de ce 19 juillet 1979.
Tout cela se passe dans une société inondée par l’idéologie de consommation forgée par le néolibéralisme, par 16 ans d’exposition aux produits culturels les plus abjects de l’industrie étasunienne, avec les valeurs les plus déshumanisantes et les plus massives technologies. Cette lutte est abordée d’une manière éclectique par divers canaux de communication sandiniste, surtout les radios et une chaîne de télévision. Des fois c’est réussi, comme quand on a fait une version de gauche du show de David Letterman, ou comme quand des féministes font un programme de radio où elles répondent à des questions qui leurs sont posées par des hommes. Des fois ça échoue, comme quand on donne un espace excessif à la note rouge ou quand on se permet une acceptation totalement complaisante des pires préjugés populaires.
Au Nicaragua on ne connaît pas les ¦uvres comme le Maradona de Kosturica ou Cherchant Eric (Cantona) de Ken Loach ! des ¦uvres qui mettent sérieusement en scène des gens ordinaires, avec beaucoup de ruse, d’humour et de profondeur. Beaucoup de spécialistes de la culture qui ont surgi ou qui se sont établis avec l’aide de la révolution sandiniste l’ont abandonnée par intérêt matériel, par mépris du peuple ou des ressentiments amers. Cependant, il reste des milliers de travailleurs et activistes culturels de base, beaucoup formés par les changements des années 80, d’autres issus des générations suivantes, qui seront chargés de donner une forme culturelle à ce processus. Le processus est en cours. Arrêtons de pleurnicher camarades. Parce que les défis du futur sont trop grands. Ce sont les ouragans et les sécheresses du réchauffement global, ce sont les dangereux sursauts posthumes de la décomposition impérialiste, c’est la nécessité urgente d’un autre monde qu’il y a à construire pour ne pas disparaître comme espèce, et en fin de compte, parce que ce sont trop de siècles de malheurs. C’est là le cri qu’on croit percevoir dans cette terre bénie si on ne prête pas attention aux voix assourdissantes de l’obscurantisme médiatique.
* Nos remerciements à Rose-Marie SERRANO d’Espagne pour la révision du texte en français
CEPRID
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