CEPRID

LE DESSOUS DES CARTES COLOMBIENNES

mercredi 30 juillet 2008 par CEPRID

Danielle Bleitrach CEPRID

Nous sommes avec la Colombie devant une situation extraordinairement compliquée qui ne concerne pas seulement les acteurs locaux que sont le gouvernement colombien et les FARC, mais bien dans une géostratégie dans laquelle l’impérialisme étasunien veut utiliser la Colombie comme une sorte d’israël du Moyen -orient. Cet article tente d’analyser ces enjeux et comme il ne faut jamais faire ce que veut l’adversaire, quelle issue les communistes français, les progressistes devraient appuyer. Comme toujours il s’agit de la solution qui favoriserait la paix dans la région et dans le monde.

UNE OPERATION DIGNE DU PROFESSIONNALISME ISRAELIEN ?

Ingrid Betancourt l’a déclaré à son arrivée à Bogota, l’opération d’infiltration des FARC menée par l’armée colombienne et qui a permis sa libération et celle de quatorze autres otages avait tout d’une opération israélienne, le savoir-faire, la minutie et le professionnalisme. Cette opération dénommée Operation Jaque témoigne à quel point la Colombie joue un rôle dans la stratégie impérialiste, ne serait-ce qu’à travers la présence des Israëliens. Une chaîne de télévision israélienne affirmé jeudi que « La libération d’Ingrid Betancourt, c’est l’opération d’Entebbe des Colombiens », elle a indiqué que le général de réserve Israël Ziv, ancien membre de l’état-major de Tsahal. Ziv est le conseiller israélien numéro un en Colombie, mais il n’est pas le seul, selon une chaîne de télévision israélienne et a bénéficié de l’aide de d’autres agents secrets du Mossad ou du Shin Beth installés à demeure en Colombie pour soutenir le gouvernement d’Uribe.

Des dizaines d’officiers dont trois généraux, des anciens agents du Mossad et du Shin Beth, les services secrets israéliens, ont activement participé à la préparation et à la réalisation de l’opération. Ils auraient été recrutés sur un contrat de dix millions de dollars.

La plupart de ces conseillers, spécialistes de la collecte de renseignements, sont intégrés au dispositif Lancero, un programme de formation à la lutte anti-insurrectionnelle, notamment l’interrogatoire de prisonniers, selon des méthodes décriées en Israël même par les organisations des droits de l’homme.

Nous avions sur ce blog publié l’interview de Davidi le secrétaire du Maki du parti communiste israëlien qui nous avait expliqué qu’Israël était le premier fournisseur d’armement de la Colombie. Des équipements qui, selon des publications spécialisées, comprennent des armes légères, des drones, des systèmes de surveillance et de communication et aussi des bombes spéciales qui permettent de détruire les plantations de coca.(1)

La coopération entre les deux pays a encore été renforcée en février dernier, avec la visite en Israël du ministre colombien de la Défense, Juan Manuel Santos.

Cette présence des Israëliens vient en appui des services des Etats-Unis dont bénéficie déjà la Colombie. Ce pays représente en effet pour l’impérialisme la plate-frome d’où pourront être menées toutes les actions de déstabilisation et de terrorisme contre les gouvernements progressistes et en particulier contre le Venezuela.

Dans un récent billet Fidel Castro a mis plusieurs fois en garde contre les manœuvres de la IV e armée étasunienne qui, dans le contexte de la crise pétrolière, pourrait à chaque moment utiliser un prétexte fourni par la Colombie pour envahir le Venezuela. Il faut également noter que ce pays subit quotidiennement les infiltrations et les tentatives de destabilisation, voire les menaces d’assassinat venu de son voisin. Il s’agit de désamorcer la bombe.

LE CONTEXTE INTERIEUR DE LA COLOMBIE

Le président Uribe est non seulement l’homme des paramilitaires et des narco-trafiquants mais il est de ce fait celui des Etats-Unis qui peuvent dire de lui ce qu’ils disaient du cruel et corrompu dictateur Somoza du Nicaragua : “c’est un fils de pute mais c’est notre fils de pute”. Il s’avère qu’au plan intérieur Uribe était de plus en plus contesté, lui et sa politique d’affrontement.

Dans un récent article de Prensa latina, Rafael Calcines Armas analysait la situation en Colombie après le succés de l’opération menée par l’armée colombienne aidée ou non par les agents du MOSSAD et des conseillers étasuniens en soulignant les faits suivants :

« Sur le plan interne le succés de l’action militaire paraît renforcer la ligne suivie par le gouvernement d’affrontement militaire des FARC, en accord avec la politique de Sécurité Democratique prônée par le Président Uribe.

Les envoyés militaires ont admis eux-mêmes qu’ils ont mené l’enlévement grâce à l’opération, sans brûler une seule cartouche. Si dans le même cas il y avait eu la mort d’un quelconque des otages il s’en serait suivi un désastre pour le gouvernement, disent tous les analystes.

Dans ce cas les autorités ont eu de la chance, à la différence d’autres fois dans lesquelles les tentatives de sauvetage par le feu et le sang ont abouti à la mort des otages.

Pour les partisans d’une nouvelle réelection du président uribe, l’occasion offre une opportunité exceptionnelle. Aussi bien la grande presse que les partis qui le cautionnent, n’arrêtent pas de faire l’éloge de la personne et de sa politique.

Ce succés historique va surement être utilisé pour promouvoir le maintien des Uribe à la tête de l’exécutif, en ce moment dans lequel sa légitimité est en débat.

La cour suprême a déclaré récemment illégitime la réelection du gouvernant parce qu’il a été découvert qu’il a été commis une fraude dans la campagne de 2006 qui l’avait porté à la présidence pour la seconde fois ?

En réponse, Uribe s’était prononcé pour un référendum populaire pour légitimer sa réelection de 2006.

Si la convocation avait lieu aujourd’hui, le succés de l’Opération Jaque surement rapporterait de juteux dividendes.

Mais de surcroît, suit la question de la recherche de la paix dans le pays. Pour une partie de la polarisée société colombienne, l’action militaire renforce l’idée que l’affrontement armé avec la guérilla est la solution. Les autres sont partisans de continuer à chercher le dialogue pour un accord humanitaire qui permettrait la libération du reste des prisonniers retenus par les insurgés.

Cequi paraît être oublié est que, à cause de ses caractéristiques, il est quasiment impossible que l’Opération Jaque puisse être répétée et l’emporter une seconde fois auprès des FARC. Alors la nécessité d’aller à la table des négociations s’impose. »

Cette analyse non seulement se prononce pour la voie pacifique mais elle se prononce pour chercher des appuis qui empêcheraient l’action des Etats-Unis. Il s’agit d’enlever les crocs venimeuses du président Uribe, en l’attirant plus ou moins malgré lui au sein de l’Amérique latine comme cela avait été fait après l’assassinat de Reyes dans la réunion du groupe de Rio.

C’est dans un tel contexte qu’il faut analyser l’intervention du président Chavez :

LE PRESIDENT CHAVEZ FELICITE URIBE

Le président vénézuélien Hugo Chavez a annoncé jeudi qu’il avait appelé au téléphone son homologue colombien Alvaro Uribe et l’avait félicité pour la libération de quinze otages par l’armée colombienne. “Nous félicitons la Colombie. J’ai appelé Uribe et je l’ai félicité”, a déclaré M. Chavez à Isla Margarita, dans le nord du Venezuela, où il participait à une réunion de pays du Mouvement des non-alignés.

“Nous restons disponibles pour aider jusqu’à ce que le dernier otage de la guérilla colombienne soit libéré et que l’on parvienne à la paix, la paix complète, en Colombie”, a ajouté M. Chavez, qui avait été impliqué au début de l’année dans la libération de six otages de la guérilla. Le chef de l’Etat vénézuélien a une nouvelle fois appelé les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) à renoncer à la violence et à libérer tous les otages qu’elles détiennent encore.

Après la libération mercredi par l’armée colombienne de quinze otages, la Franco-colombienne Ingrid Betancourt, trois Américains et onze Colombiens, les Farc détiennent encore plusieurs centaines de personnes.

“De mon point de vue, le temps des fusils est passé. Espérons qu’il ne revienne jamais, que l’on ne nous oblige pas à revenir à ce temps. Je lance de nouveau un appel à la guérilla pour qu’elle réfléchisse”, a déclaré M. Chavez.

“Nous partageons la joie” suscitée par la libération des otages, “nous sommes heureux de cette libération, et encore plus heureux parce que, selon ce que l’on nous a dit, elle s’est faite sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée”, a ajouté le président vénézuélien.

M. Chavez a évoqué la possibilité que des pays latino-américains, dont le Venezuela, s’impliquent dans la recherche d’une solution pacifique du conflit entre la guérilla et les autorités colombiennes.

“Je suis sûr que presque tous les pays du continent seraient disposés à former un groupe qui serait garant d’un accord de paix, dans lequel les parties et les engagements seraient respectés”, a-t-il déclaré.

LA STRATEGIE DE DETENTE

Paradoxalement malgré des déclarations plus ou moins controvesées par exemple celle sur le « professionnalisme » digne des Israéliens faites par Ingrid bétancourt, lors de sa libération, ce qu’Ingrid bétancourt propose va dans le sens de la détente souhaitée par Chavez et sans doute les Cubains, même s’ils n’ont pas l’habitude de se départir d’une certaine réserve quand ils traitent avec un individu aussi méprisable que le Président uribe. L’article de prensa latine donne pour une part leur opinion quand il note que Ingrid Bétancourt qui jouit désormais d’un grand prestige en Colombie et au plan international a « au moins en deux occasions a considéré que les Présidents Hugo Chávez, du Venezuela, et Rafael Correa, de Ecuador, sont les alliés les plus importants dans la recherche d’une paix négociée. Aussi il faut appeler à amplifier la médiation internationale et en mentionnant spécialement la présidente de l’Argentine, et la continuité de l’appui du gouvernement français à cette cause. Néanmoins, les déclarations du ministre de la Défense, ne laissent pas de doute sur la position gouvernementale « nous chercherons le liberté des otages par une voie quelconque ».

Comme l’a déclaré l’hebdomadaire du Parti Communiste venezuélien Tribuna popular , il “faut avoir les pieds sur la terre et garder la tête froide” Le peuple Colombien ne peut continuer à supporter un terrorisme d’Etat doublé de celui atroce des narcoparamilitaires, instrument de l’impérialisme des Etats-Unis qui depuis 1964 a multiplié les assassinats, les disparitions, les exécutions sans jugement et qui fournissent la preuve du chemin que continue à suivre l’oligarchie colombienne, celui de la guerre et du sang versé des innocents. Il faut saisir une opportunité historique et considérer que le futur de la Colombie ne peut pas être le conflit armé.”Tous les amis du peuple colombien, à commencer par le Parti communiste vénézuélien, qui a lui-même pratiqué la guérilla, en appellent au bon sens, et à ouvrir un espace de paix et de justice parce que la guerre ne peut qu’aider les plans de l’impérialisme. C’est seulement dans ce contexte là que pourra être extirpée la politique criminelle des narco-trafiquants et para-militaires qui est celle d’Uribe.

Il me semble que la France, les progressistes doivent continuer à agir dans le sens de la détente qui est la seule manière d’empêcher le bellicisme des Etats-Unis contre les pays progressistes et en particulier le Venezuela dont les énormes ressources pétrolières représentent une attirance irresistible pour les Etats-Unis, outre la volonté d’en finir avec le rôle de Chavez tant en Amérique latine qu’au niveau de l’OPEP. Et si Ingrid Bétancourt est prête à s’engager dans cette voie, si Nicolas sarkozy l’est également, quelle que soit l’opinion que nous avons non seulement sur ce dernier mais également sur son ministre Kouchner, aussi proche du MOSSAD qu’il est possible, il faudrait que nous soyons capables de peser en ce sens, sans illusion mais en sachant quels sont nos objectifs.

Danielle Bleitrach

(1) analyse rapportée par RFI

Vendredi 04 Juillet 2008

http://socio13.wordpress.com/2008/07/04/le-dessous-des-cartes-colombiennes-par-danielle-bleitrach/


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