CEPRID

Le plan de développement des États-Unis laisse pour compte la majorité des Haïtiens

lundi 1er juin 2009 par CEPRID

Ansel Herz

Sur le plancher d’une fabrique de textile à Port-au-Prince, plus tôt ce mois-ci, la secrétaire d’État Hillary Clinton a parlé de l’engagement de l’Amérique envers Haïti. « Je promets que nous allons faire davantage pour créer plus de bons emplois pour les Haïtiens », a-t-elle dit aux travailleurs du textile rassemblés.

On ne saurait demander mieux, non ? Mais il n’y a pas eu d’applaudissement à la fin de son discours. Beaucoup de travailleurs ne pouvaient pas comprendre ce qu’elle disait parce qu’il n’y avait pas de traduction simultanée en kreyòl, la langue parlée par la vaste majorité des Haïtiens. Clinton incarne l’état d’esprit des législateurs qui choisissent de faire fi des graves manques du processus démocratique en Haïti et d’imposer au pays des programmes néolibéraux de lutte à la pauvreté, formulés à l’étranger.

Clinton, tout comme le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, fait la promotion d’un plan conçu par l’économiste oxfordien Paul Collier pour établir des zones d’exportations exemptes de tarifs. Selon ce plan, Haïti sortira les bidonvilles de la pauvreté en créant des emplois dans les manufactures de textile comme celle de la Inter-American Factory, où se trouvait la secrétaire d’État.

Il n’y a pas beaucoup d’enthousiasme pour ce développement de type maquiladora en Haïti. Les travailleurs dans les fabriques américaines comme Levi sont payés deux fois le salaire minimum mais ils ont dit au réseau anglais d’Al-Jazira que les salaires sont encore beaucoup trop bas pour échapper à la pauvreté.

L’ancien président Jean-Bertrand Aristide, dont le parti Lavalas a obtenu l’appui de l’écrasante majorité des Haïtiens, élection après élection, avait tenté dans les années 1990 de tripler le salaire minimum. Mais sous les pressions des représentants des États-Unis et de gens comme Andy Apaid, il a été forcé de réduire ses ambitions considérablement. Apaid est un riche Haïtien qui possède de nombreuses sweatshops ainsi que la fabrique qui a reçu la visite de Hillary Clinton il y a deux semaines. En 2004, Apaid et d’autres membres de la tout petite élite haïtienne ont réussi à faire renverser le président Aristide avec l’aide du gouvernement américain. Aristide a été mis à bord d’un avion américain, entouré de Marines, et largué en République centrafricaine. Il dit avoir été kidnappé et n’est toujours pas revenu en Haïti.

Aristide et le Lavalas représentent un mouvement à la base qui menace le statu quo pluriséculaire au service d’intérêts internationaux. Aristide a haussé les impôts des riches, lancé des campagnes très efficaces d’alphabétisation et de lutte au SIDA et bâti des écoles et des hôpitaux partout au pays au cours de ses deux mandats à la présidence, chacun interrompu par un coup d’État soutenu par les États-Unis.

Le parti Lavalas a tenté de continuer son oeuvre malgré la répression. La mission de maintien de la paix de l’ONU a bombardé et occupé à plusieurs reprises Cité Soleil, un bidonville en banlieue de la capital et une des bases fortes du Lavalas. Plusieurs dirigeants du parti ont été emprisonnés sous de fausses accusations par le régime de l’après-coup, et sans Aristide le parti est moins uni qu’auparavant. Lovinsky Pierre-Antoine, un militant pour les droits humains et activiste du Lavalas qui a été enlevé en 2007 après avoir annoncé sa mise en candidature aux élections sénatoriales, manque toujours à l’appel.

Le Lavalas a été exclus des élections sénatoriales de la semaine dernière par le Conseil électoral provisoire (CEP) en raison d’une considération d’ordre technique. Un magistrat qui a jugé que la décision du CEP était illégale a été promptement démis de ses fonctions par le gouvernement.

Or, comme les esclaves en révolte qui ont vaincu les armées de Napoléon et fondé Haïti, le Lavalas et son programme de redressement social ne sont pas facilement écartés. Le parti a lancé l’appel au boycottage des élections sénatoriales desquelles il a été exclus et les Haïtiens ont répondu : on estime que le taux de participation au scrutin du 19 avril était inférieur à 10 %.

La revitalisation de l’économie paysanne locale, l’annulation de la dette, un statut temporaire pour les immigrants aux États-Unis et le retour d’Aristide comptent parmi les principales revendications populaires. L’administration Obama s’est déjà engagée à rembourser 20 millions $ de la dette illégitime d’Haïti envers la Banque mondiale. C’est un début. Par contre, l’idée de faire des Haïtiens pauvres une main-d’oeuvre à bon marché pour les entreprises américaines du textile est la continuation du statu quo. L’idée que la « communauté internationale » sait ce qui est bon pour les pauvres d’Haïti a été discréditée par des décennies de croissance de la pauvreté. Un geste d’appui de l’administration Obama à la démocratie en Haïti, avec la participation du Lavalas, représenterait un changement dans lequel les Haïtiens peuvent croire et dont ils ont gravement besoin.


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