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Recours

lundi 2 juin 2008 par CEPRID

Alfredo Molano Bravo 20 - V – 2008 CEPRID

La liberté d’expression, ou de presse ou de l’information ne sont pas des adjectifs qui définissent les principes d’une démocratie. Il y en a eu des batailles et beaucoup sont morts pour sa défense. La censure, qui sévit de mille façons, menace toujours. La tyrannie rôde sans cesse.

L’assassinat de journalistes en Colombie reste quotidien. Il suffit qu’un intérêt soit compromis par une information – même à partir de source précise – pour que le journaliste soit tué, exilé, obligé de se taire. Ou pire, conditionné. Il ne peut y avoir de règle fixe avec autant de règles. Une simple accusation peut se terminer par un meurtre, et une chronique sur les bancs d’un tribunal. Le gouvernement bombe le torse et se targue de montrer que le chiffre d’assassinats de journalistes a baissé. Ce qui est évident puisqu’il en reste moins. À Arauca, ou à Caldas, par exemple, il ne sont plus tués puisque ceux qui ont sauvé leur vie en fuyant ou en se taisant ont appris à dire les choses de telle manière que personne ne soit dérangé. Un succès de la démocratie. Ils ont aussi appris à écrire sans porter atteinte au modèle. Ils savent qu’il y a des limites, des choses que l’on ne peut remuer.

Derrière la tragédie du silence imposé, de la demi parole, il y a la paranoïa créée à cet effet. Ce n’est pas difficile : il suffit de diviser une société entre les bons et les mauvais, entre les rouges et les bleus, entre ceux d’ici et ceux de là-bas, entre patriotes et apatrides pour obtenir le résultat escompté. Un fait qui va croissant qui falsifie et modifie le compte rendu. Et, qui tue suivant le cas. Comme cela est déjà arrivé, ils peuvent assassiner un journaliste qui « dépasse les limites » d’une opinion ou dans un article, et automatiquement la sentence flotte dans l’environnement : « Il y avait une raison ».L’enquête reste pratiquement bouclée, et de cette façon la justice arrive tant bien que mal à une autre conclusion.

La paranoïa créée par un régime qui impose le manichéisme dégage de l’autocensure une manière d’être, de parler et d’écrire. La parole perd son ampleur. L’adulation gagne ce que perd la critique. Le silence gagne la rue, les bureaux, on chuchote au téléphone ; n’importe quelle lettre ou note est susceptible de se transformer en un document judiciaire, en une preuve irréfutable. Les téléphones portables sont sur écoute des centrales d’intelligence. Ou le laisse t-on croire. Pour parler clairement, il devient nécessaire d’aller dans un coin, là, où le vent n’emporte pas la voix.

Le gouvernement parvient ainsi au grand consensus social et politique tant rebattu. Personne ne peut le nier : cela apparaît dans les enquêtes, les enquêtes apparaissent sur Internet et ce qui n’apparaît pas là, n’existe donc pas. Ensuite ce sont les votes qui ratifient et consolident les vérités officielles nées de la peur d’être montré du doigt, d’être plaqué au mur, un mur qui peut se transformer en un mur de fusillé. Nous le voyons quotidiennement. La paranoïa fait naître chez le citoyen – et pas seulement le journaliste – sa propre censure. L’ennemi est à l’intérieur, il commence à faire partie de son regard et peu à peu de sa parole.

Une espèce de schizophrénie se généralise : les gens voient une chose et en disent une autre, ils doivent dire cet autre chose pour être entendus et non pas dénoncés. À partir de cette folie collective, manipulée consciencieusement, tout peut arriver. Le Prince peut faire et défaire, tout lui est permis, tout est bon. L’éloge est son seul interlocuteur. Chaque fonctionnaire public – et même jusqu’à chaque citoyen – devient son agent.

La seule vertu de cet état de choses si aliénant est que le journaliste – comme le citoyen – qui décide de le rester, doit faire appel à la métaphore, à l’hyperbole, à la parabole. L’imagination et, à la fin, même la littérature gagne ce que perd le journalisme.

Traduction : Garcia Esteban


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