SENEGAL : La societe civile suggere de revoir le projet de loi modifiant le Code de la famille

Par Adel Arab


 

DAKAR, 14 mars 2002  (IPS) - Le projet de loi modifiant la loi de juin 1972 portant Code de la famille au Senegal, contient encore quelques incoherences et insuffisances, malgre les changements et innovations qu'il apporte, selon des experts et representants de la societe civile.

Bien qu'ayant ete qualifie a l'epoque, par une large majorite, de novateur et percu comme une avancee significative du point de vue de la prise en charge des droits de la Femme, le Code de la famille, vote en 1972, a montre ses limites et n'a cesse d'etre critique par les defenseurs des droits de l'Homme au Senegal.

La pomme de discorde porte essentiellement sur l'article 152 qui dit ''Le mari est le chef de famille, il exerce ce pouvoir dans l'interet commun du menage et des enfants'', et qui consacre la notion de ''chef de famille'' conferee au seul mari.

Ensuite l'article 153 - ''Le choix de la residence du menage appartient au mari; la femme est tenue d'y habiter avec lui et il est tenu de l'y recevoir'' - qui ecarte la femme du choix de la demeure. Ce qui pourrait engendrer des problemes au cours de la vie conjugale.

Enfin, l'article 277 qui dit ''La puissance paternelle sur les enfants legitimes appartient conjointement au pere et a la mere''. Mais l'alinea 2 du meme article stipule : ''Durant le mariage, elle (la puissance paternelle) est exercee par le pere en qualite de chef de famille''. Il en resulte une contradiction dans la mesure ou le premier alinea de l'article 277 devolue la puissance paternelle au pere et a la mere, alors que le second alinea annule cette disposition.

''En sa forme, le projet de loi modifiant le Code de la famille, dont le texte a ete prepare par le ministere de la Justice (...), propose une revision partielle dudit code et son expose de motifs est sommaire'', estime Abdoullah Cisse, professeur de droit a l'universite Gaston Berger de Saint-Louis (nord du Senegal), lors d'un atelier de reflexion sur ce projet de loi, organise recemment a l'universite Cheikh Anta Diop de Dakar, la capitale senegalaise.

''Quant au fond du projet, il s'agit a priori d'une revision inspiree, justifiee par la reception du droit international dans le droit interne'',
ajoute-t-il.

Selon Cisse, l'article 1er consacre deux innovations dictees par la reception de la Convention sur l'elimination de toutes les formes de discrimination a l'egard des femmes.

Les articles 152 et 153 sont abroges et remplaces. Selon l'article 152 nouveau, ''Le mari est le chef de famille, il exerce cette qualite (et non plus ce pouvoir) dans l'interet commun du menage et des enfants''. A la puissance maritale, s'est substituee la qualite maritale.

L'article 153 nouveau stipule : ''Le mari et la femme doivent choisir conjointement une residence commune. Competence est donnee au tribunal departemental pour connaitre des contestations relatives a ce choix''. Du choix solitaire de la residence conjugale par l'homme, on passe au choix conjoint.

''Par ailleurs, la substitution de la notion d'autorite parentale a celle de puissance paternelle, dans l'article 277, constitue l'innovation majeure du Code de la famille dans le droit positif senegalais'', souligne Cisse.

Mais l'article 152 constitue toujours un grand souci pour les experts travaillant actuellement sur le projet de loi. Selon Cisse, cet article presente ''une nouvelle notion dont il va falloir definir le contenu''.

Amssatou Sow Sidibe, professeur de droit, propose, a l'instar de la majorite des militantes des droits des femmes, de remplacer carrement la notion de ''chef de famille'' soit par ''cogestion'' soit par ''co-responsabilite''.

''Plusieurs pays tels que le Burkina Faso n'utilisent plus la notion de chef de famille, et le Senegal doit suivre l'exemple'', argumente-t-elle.

''Cette notion est le principal pourvoyeur de la violence conjugale'', rencherit Amiata Toure, juriste et communicatrice.

D'autres vont jusqu'a proposer la suppression pure et simple de l'article 152. Cette disposition ''engendre des consequences graves sur le code general des impots : la femme est plus imposee que l'homme'', affirme Marie-Pierre Sarr Traore, juriste et syndicaliste.

Une mere qui travaille est consideree comme une celibataire et par consequent, elle est surimposee par le fisc. En plus, elle ne peut pas prendre en charge son mari, ses enfants et sa famille. Elle ne peut pas recevoir des allocations familiales attribuees aux travailleurs ni prendre en charge medicalement son epoux et ses enfants ni laisser a ses enfants et heritiers une pension, en cas de deces.

''Il ne faut surtout pas decourager l'homme, en le depossedant de son territoire'', conseille Seydou Diouf, professeur d'histoire et islamologue.

''Le droit de la famille devra repondre a un besoin plus grand d'autonomie des individus, des femmes comme des hommes, des adultes comme des enfants, a l'aspiration des enfants a la liberte, mais sans sacrifier l'autorite necessaire a leur socialisation en veillant, autant que faire se peut, a la demission des peres et a la generalisation de ce qu'on appelle l'homme
mou'', soutient Cisse.

L'article 277 constitue le deuxieme grand souci des experts qui y ont releve des redondances et imprecisions.

Selon Cisse, il en resulte une difficulte d'application du texte : ''L'autorite parentale sur les enfants legitimes appartient conjointement au pere et a la mere... C'est redondant'' et si ''L'un des parents exerce seul l'autorite parentale... Qui l'habilite a le faire?''

Diouf qualifie tout simplement de ''fantaisiste'' l'article 277 du fait de la pratique solitaire de l'autorite parentale.

Cisse recommande de ne jamais legiferer dans l'urgence et de suivre une methodologie scientifique bien definie avant de reformer cette loi qui est censee faire le bonheur de la famille et de la societe, et non l'inverse.

Les experts estiment qu'en general, le Code de la famille n'est pas encore bien connu par la majorite de la population. ''Les hommes et les femmes ne sont pas sur le meme pied d'egalite concernant l'information, et c'est pourquoi il faut y mener des campagnes d'information et de sensibilisation'', suggere Toure.

Tout en regrettant de n'avoir pas ete associes des le debut a la redaction du texte de cette reforme, les experts ont decide de ne pas rejeter d'emblee le document et d'insister davantage sur ses insuffisances et incoherences.

Ils recommandent aussi aux autorites de mettre en place un comite de redaction elargi ayant un mandat precis afin qu'il puisse travailler sur le fond et la forme du projet. Et ce comite doit tenir compte de l'environnement socio-economique pour revoir le projet de loi portant modification du Code de la famille avant de le soumettre au parlement.